Que le fait de dessiner puisse devenir un spectacle, c’est étrange et aussi très émouvant. Comment sous la poussée d’un feutre noir voyons-nous apparaître un visage ? Nous pouvons dessiner en marchant, et penser en visages. Il y a une farandole de gestes que nous commettons chaque jour qui feraient de nous des êtres plus aériens, des êtres à mi-chemin entre l’oiseau et l’arbre qui auraient fusionné pour devenir des hommes.

Cette question de l’être, Xavier Devaud la pose, sans extravagance, il l’exprime à travers
le champ de couleurs où s’exaltent inconsciemment pour nous, les présences en soi plus que des paysages, celles des esprits des mers, socles de montagnes, ciel et soleil qui font partie de notre environnement. Parce qu’il y a la douleur de l’impression, parce qu’un artiste peut récolter un visage sous l’arête d’une pierre à l’intérieur d’une flaque. Parce qu’il peut se demander comment, il est visage à travers l’eau, le bitume ou la mort.

C’est sans doute que toutes choses dévisagent l’artiste au point de le submerger qu’il risque sa campagne et qu’il s’entend dire « Cette famille parle, parle tant, que pour la contenir, je dois l’apprivoiser ».

Famille de corps qui hanteraient les mers, le silence des abymes, le joug de la durée, devenues bavardes par l’entremise d’un acteur qui deviendrait leur serviteur.

Les choses nous pensent-elles, les montagnes ne se nourrissent-elles pas de notre éphémère ? J’ai toujours pensé qu’un tableau était vivant ; comme une impression est susceptible de vous engloutir, elle est par cette fonction même capable de nous éjecter. Emportés par une vague, voilà que nous pouvons nous retrouver devant cette même vague.

La contenance d’un artiste face à son œuvre, c’est quelque chose d’impressionnant. Il n’y a pas de linceul de mots pour recouvrir leur silence, sous la craie.

La peinture de Xavier Devaud m’apparaît extrêmement pudique. Serviteur d’impressions,
il peut les prolonger au-delà du discours pour devenir l’ailleurs du peintre, cela qui reste en suspension, qui s’offre au spectateur, car il y a toujours une question d’offrande ou de soi vis à des autres ou des autres vis-à-vis de soi.

Je ne peux pas décrire les peintures de Xavier Devaud, je sais qu’il faut les voir. Pour don- ner cette envie aux futurs spectateurs, je dirai simplement que ces tableaux sont aussi présents que des visages poussés au creux des vignes, tels des apparitions, capables de bousculer notre regard un peu trop lisse. Chez lui, la poésie se fait pleine terre pour exprimer la matière des corps en mouvement. Une matière annonciatrice d’esprit.

Paris, le 7 Février 2011 Evelyne Trân- Le Monde.fr