Marie-Françoise Chavanne Octobre 2017

Comment approcher l’œuvre, de Xavier Devaud, Par la figure, par la peinture ? Par la ligne, la couleur, les matières ? Comment s’en saisir ? Alors qu’elle semble s’imposer, soudain elle s’esquive, furtivement…

Dans l’atelier de Xavier Devaud, je suis face à une œuvre et cette œuvre m’observe. Nous nous observons. Le face à face est immobile, attentif, inquiet. La couleur me submerge. Le dessin me fascine. L’échelle de la toile, sa verticalité, sa présence, sa lumière imposent un corps à corps avec la peinture. Un visage au regard songeur, un corps au geste sus- pendu, en attente, émergent de la toile, aussi insaisissables que puissants. Je devine que dans cet espace creusé d’ombres aux couleurs pro- fondes se joue en secret une énigme.

Mais je ne veux pas savoir, pas si vite, je veux voir. Je veux que mon regard fasse le chemin à rebours pour voir, à travers la couleur, sa pâte, ses effacements, ses transparences et ses reflets, le cheminement des premiers dessins, le vagabondage de la ligne. Je me souviens soudain des mots d’Henri Michaux découvrant les dessins de Paul Klee « Une ligne rêve, on n’avait jusque-là jamais laissé rêver une ligne. Une ligne attend, une ligne espère. Une ligne repense un visage ». Car dans ses peintures comme dans ses dessins, Xavier Devaud fait rêver, dériver et penser les lignes. Le trait y est fluide, dansant, suspendu pour esquisser une épaule, un profil… Puis il est repris, biffé, épaissi pour creuser un regard, faire naître un visage, le sculpter avec douceur, le relier à l’épaule, puis à nouveau le brouiller, le suspendre, en silence.

Les palimpsestes de figures oubliées, de corps enfouis émergent sous les traces furtives de gestes interrompus, d’effacements, sous les glacis et les « repentirs » du peintre faits pour brouiller les traces, laisser des pans inachevés à dessein, juste pour troubler la pensée.

Sa peinture est théâtrale, chorégraphique. La tension des corps, leur énergie soudain se relâchent. Ils chutent, flottent dans l’espace comme dans un ballet de Pina Bausch. Dans le silence de la peinture, je perçois des chuchotements, des murmures parfois plaintifs. J’en surprends les

colères, le cri muet. Sa peinture porte dans sa chair une mémoire poétique, douloureuse et tendre comme une mémoire d’enfance. Xavier Devaud aime dessiner et peindre comme, dit-il, aime peindre un enfant. Peindre et dessiner s’entremêlent dans son œuvre, avec la même liberté, le même désir d’être chaque fois surpris et ému par ce qui advient chemin faisant. L’indigo, le cobalt et le bleu de Prusse, aux tons profonds voilés de noirs, grisés ou blanchis, la carnation des ocres et du carmin, l’apesanteur des blancs qui brouillent l’espace offrent au regard du rêve, de l’émotion et des doutes.

Qui sont ces figures, femmes et hommes, aux regards songeurs qui s’imposent à nous mais nous échappent ? Quel tourment ou quelle sagesse les animent ? Par le jeu d’un regard silencieux, juste un peu rêveur, nos questions, nos sensations, notre mémoire subtilement se ravivent. Ces visages et ces corps pris dans la toile, nous marquent de leur présence profondément sensible. Leurs pensées nous emportent vers une quête silencieuse de cette dualité simplement humaine, vers ce double jeu d’identité et d’altérité que la peinture de Xavier Devaud offre à la « figure », cette belle inconnue.